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distance leurs colonnes de fumée. De petites voiles blanches sillonnent la rade. Le soir, ce sont des pêcheurs au flambeau qui glissent le long des côtes comme des vers luisants. Le matin, le soleil, réfléchi par l’eau de la mer, envoie des serpents de feu qui courent sur les murs et le plafond de votre chambre. Le Vésuve semble inventer mille coquetteries pour vous retenir au balcon. Il change de couleurs selon la position du soleil, et passe en un jour par toutes les nuances de la gamme des tons ; tantôt cachant sa tête dans une perruque de nuages, tantôt montrant les contours de son sommet avec précision. Sa fumée prend aussi des formes fantastiques ; le plus ordinairement blanche et penchée comme une plume de marabout, quelquefois droite et noire comme un arbre gigantesque planté dans le milieu du cratère. Souvent, par une connivence évidente avec les aubergistes de Naples, le Vésuve promet des éruptions qu’il ne donne pas. Il rend des lueurs rouges pendant la nuit, comme un lampion près de s’éteindre, et fait entendre aux habitants de Portici des détonations sourdes qui retiennent indéfiniment l’étranger prêt à s’embarquer. A chaque instant on est dupe de ces manèges peu délicats, et on saute hors du lit, croyant voir les premiers symptômes d’une éruption qui ne viendra que l’année prochaine. Le quai de Sainte-Lucie est le rendez-vous d’une brillante population de pêcheurs, de barcarols, de marchands d’huîtres et de promeneurs en bateau, tous gens gais, vivaces et musiciens. La nuit, on chante, soit en plein air, soit chez les limonadiers. Le dimanche, on danse au simple bruit d’un tambour de basque ; pas un son ne vous vient aux oreilles sans vous envoyer de la bonne