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de guérir. Peut-être que le temps, unique médecin d’un tel mal, l’en délivrerait, mais Il devancera le temps, et pour parer à la délivrance possible. Il se dépêchera de mourir de sa fièvre tandis qu’elle est mortelle.

De cette quadrilogie des Nuits, en laquelle il se résume, la plus méthodique analyse ne réussirait pas à dégager une philosophie homogène ; mais Alfred de Musset s’en inquiète fort peu : sans nul souci d’établir un système. Il se contente de dresser une figure, et elle le satisfait si elle nous exprime, à l’exclusion de tout, l’exubérante ivresse d’avoir vécu douloureusement.

Cette attitude, qui cependant n’est pas une pose, révoltera plusieurs de ses contemporains ; le bon Flaubert se récrie et proteste : « La poésie n’est pas une débilité de l’esprit, et ces susceptibilités nerveuses en sont une : cette faculté de sentir est une faiblesse… J’ai eu, moi aussi, mon époque nerveuse, mon époque sentimentale, et j’en porte encore, comme un galérien, la marque dans le cou ! » Leconte de Lisle aussi riposte par le sonnet des Montreurs :


Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées !


Mais quoi ? Ces poètes-ci expriment la douleur de comprendre, qui est bien noble, mais qui ne torture ici-bas qu’un nombre d’individus relativement restreint, tandis que la misère d’être trompé par une dame ou par une demoiselle reste accessible à tous, ou peu s’en faut. Il est donc bien naturel que l’immense majorité des gens accueille avec froideur l’œuvre de ceux qui parlent après avoir pensé, et qu’elle s’enthousiasme pour celui qui cria pendant qu’il souffrait. Musset est donc pour elle le poète par excellence.

Que son vers déluré se permette parfois ou souvent des allures de négligence, cela non plus n’importe guère, ni à ses fidèles ni à lui : la passion n’y regarde pas de si près ; même en cet oubli volontaire de l’art, elle trouve un charme de plus, et peut-être elle n’a pas tort, puisque certain