Page:De Montreuil - Fleur des ondes, 1912.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
la grotte

revenir et le massacrer. Les naturels ne lui voulaient point de mal, cependant ; il n’en douta plus le lendemain, en trouvant, auprès de son gîte, une pièce de chevreuil, du gibier, une petite provision de maïs et quelques échantillons des industries locales. On le traitait donc en ami ? Ainsi pensa mon père, qui se nourrit quelque temps des mystérieuses offrandes. Il se serait même accommodé fort bien de cette vie frugale, n’eût été la torturante pensée de ne plus revoir sa patrie et d’être à jamais séparé d’un frère qu’il adorait. Ah ! longtemps après ces heures cruelles, quand je fus assez grande pour l’écouter et le comprendre, mon père bien-aimé me racontait la longue agonie de ses jours solitaires, et de ses nuits sans repos, peuplées de songes décevants qui avivaient le souvenir et alimentaient la désespérance. Cela durait depuis plusieurs jours, lorsqu’un matin, les sauvages, en grand nombre, s’approchèrent de sa retraite. Croyant à une démarche hostile, et se demandant si toutes les attentions dont il avait été l’objet ne visaient qu’à endormir sa méfiance, le délaissé eut cette horrible pensée qu’on l’avait gardé comme un morceau de choix pour un festin solennel. Il était possible qu’on ne l’eût pas surveillé plus étroitement, vu son impuissance à s’échapper. Lorsque la troupe fut parvenue à une centaine de pas, elle se rangea en ordre, et les plus vieux s’avancèrent vers mon père qui se tenait à l’entrée de la grotte, dissimu-