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n’a possédé ainsi la science anatomique, les lois de la perspective, de la lumière et des ombres. Parbleu ! tout est copié d’après nature ; la moindre ride sur les visages, le plus petit pli de la nappe. Mais la vie manque. Dieu est absent et le sera toujours. Tout est mort, à l’intérieur – l’âme n’y existe pas ! Regarde seulement, Giovanni, quelle régularité mathématique, quel triangle parfait : deux contemplatifs, deux actifs et le Christ pour point central. Vois à droite, le contemplatif de parfaite bonté, Jean ; le mal parfait – Judas ; leur différence, la justice – Pierre. Et à côté le triangle actif – André, Jacques le Mineur, Barthélemy. – À gauche du centre, de nouveau des contemplatifs – l’amour, Philippe ; la foi, Jacques le Majeur ; la raison, Thomas. Et encore le triangle actif ! La géométrie en guise d’inspiration, la mathématique remplaçant la beauté ! Tout est réfléchi, calculé, mâché par le raisonnement, examiné jusqu’au dégoût, pesé sur des balances, mesuré au compas. La raillerie sous les choses saintes !

— Oh ! Cesare ! reprocha Giovanni. Combien tu connais peu le maître ! Et pourquoi le détestes-tu ainsi ?

— Toi, tu le connais et tu l’aimes ? dit Cesare en se retournant, un sourire sarcastique sur les lèvres.

Dans son regard brilla une haine si inattendue que Giovanni involontairement baissa les yeux.

— Tu es injuste, Cesare, dit-il enfin. Le tableau n’est pas achevé : le Christ manque.

— Tu te figures que le Christ y sera ? Tu en es certain ? Nous verrons ! Mais souviens-toi de mes