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L’artiste sentait qu’on l’oubliait et faisait parfois de vains efforts pour attirer l’attention.

Enfin, cédant aux prières de son frère Julien de Médicis, Léon X commanda à Léonard un petit tableau. Selon son habitude, remettant de jour en jour l’ouvrage, l’artiste s’occupa d’essais préparatoires de perfectionnement de couleurs, d’inventions de nouveaux vernis.

En apprenant ces tâtonnements, Léon X s’écria avec un feint désespoir :

— Hélas ! cet original ne fera jamais rien, car il songe à la fin avant d’entreprendre le commencement.

Les courtisans colportèrent la réflexion. L’arrêt de Léonard était prononcé. Léon X, grand connaisseur en matière d’art, avait exprimé sa condamnation. Pietro Bembo, Raphaël, le nain Baraballo et Michel-Ange pouvaient reposer en toute quiétude sur leurs lauriers : leur redoutable adversaire était anéanti.

Comme se donnant le mot, tout le monde se détourna de lui, l’oublia, comme on oublie les morts.

Léonard apprit impassiblement la réflexion du pape : il l’avait prévue et ne s’attendait à rien d’autre. Le soir même il écrivit dans son journal :

« La patience pour les outragés est comme le vêtement de ceux qui grelottent ; à mesure que le froid augmente, habille-toi plus chaudement et tu ne sentiras pas le froid. Ainsi, au moment des grands outrages, augmente ta patience et l’offense n’atteindra pas ton âme. »