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béquilles, énorme, difforme, hérissé, pareil à un oiseau malade. Il écoutait les conversations, cherchant à deviner ; ou bien, assis dans un coin, ne prêtant attention à personne, il enroulait du fil sur des bobines, rabotait des planches, ou encore, durant des heures entières, avec un sourire béat, agitant ses bras ainsi que des ailes, il ronronnait une chanson – toujours la même ; puis contemplant le maître, se prenait à pleurer. À ces moments, il semblait si pitoyable que Léonard se détournait et sortait. Mais il n’avait pas le courage de se séparer d’Astro. Jamais il ne l’abandonnait, il s’inquiétait de lui, lui envoyait de l’argent et, à peine installé quelque part, le prenait dans sa maison.

Les années se suivaient et cet infirme était comme le vivant reproche, l’éternelle raillerie des efforts de Léonard pour doter d’ailes l’humanité.

Il ne plaignait pas moins un autre de ses élèves, celui peut-être qui était le plus proche de son cœur, Cesare da Sesto.

Ne se contentant pas d’imiter, Cesare voulait être lui-même. Mais le maître l’anéantissait, l’absorbait. Pas assez faible pour se soumettre, pas assez fort pour triompher, Cesare se tourmentait, s’envenimait, et ne parvenait jusqu’à la fin ni à se sauver ni à se perdre. Ainsi que Giovanni et Astro, il était infirme, ni vivant ni mort, simplement un de ceux que Léonard avait gâtés en leur « jetant un sort ».

Andrea Salaino prévint Léonard de la correspondance secrète de Cesare avec les élèves de Raphaël