Page:De Merejkowsky - Le Roman de Léonard de Vinci, 1907.djvu/658

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le vent sur le pont avait redoublé, sifflait dans les oreilles, et piquait, glacial, le visage. Léonard suivait l’étroit passage sec, sans prêter attention à ce compagnon improvisé qui marchait près de lui dans la boue, ou frétillait comme un chien devant lui en lui parlant de Michel-Ange. Il était évident qu’il désirait saisir un mot de Léonard pour pouvoir le redire à son rival ou le colporter par la ville. Mais Léonard se taisait.

— Dites-moi, messer, insistait l’insupportable personnage, vous n’avez pas encore terminé le portrait de la Gioconda ?

— Non, pas encore, répondit l’artiste, fronçant les sourcils. Cela vous intéresse ?

— Non… seulement… quand on songe que depuis trois ans vous travaillez à ce tableau et que vous ne l’avez pas achevé… À nous autres, profanes, il nous semble déjà si parfait que nous ne pouvons nous figurer une œuvre plus finie !

Il sourit servilement.

Léonard le contempla avec dégoût. Cet homme malingre lui devint subitement tellement antipathique que s’il n’avait obéi qu’à son impulsion, il l’aurait saisi au collet et précipité dans la rivière.

— Que va-t-il advenir de ce portrait ? continuait l’agaçant personnage. Car, peut-être, ne savez-vous pas encore, messer Leonardo ?

Visiblement, il cherchait à traîner la conversation en longueur.

Et tout à coup l’artiste sentit, à travers son dégoût, s’infiltrer en soi une crainte terrible. L’autre également