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— Explique toi-même ! L’honneur t’en revient, à toi le plus intelligent des hommes, vendu aux Lombards castrats, toi qui durant seize ans as couvé ton Colosse, n’as pas su le couler en bronze, et as dû renoncer à tout, à ta courte honte.

Il sentait qu’il disait ce qu’il ne devait pas dire, qu’il cherchait et ne trouvait pas de mots assez blessants pour humilier son rival.

Tous les regards étaient fixés sur eux.

Léonard se taisait. Et, durant quelques instants, silencieux tous deux, ils se dévisagèrent, l’un avec son sourire bienveillant teinté de tristesse, l’autre avec un rictus railleur qui rendait plus laide encore sa figure ingrate. Devant la vigueur rageuse de Buonarotti, le charme presque féminin de Léonard semblait de la faiblesse.

Vinci se souvint des paroles de monna Lisa disant que jamais son rival ne lui pardonnerait son « calme plus fort que la tempête ».

Michel-Ange ne trouvant plus quoi dire, dépité, eut un geste navré de la main et, se détournant vivement, s’éloigna de son pas lourd en marmonnant d’incompréhensibles paroles, la tête baissée et le dos voûté comme s’il portait sur ses épaules un énorme fardeau. Bientôt il disparut, pour ainsi dire fondu dans la poussière de la pluie rougie par le soleil.

Léonard continua son chemin.

Sur le pont, il fut rejoint par l’un des spectateurs de la scène, un petit homme vilain et remuant. L’artiste ne se souvenait ni de son nom ni de son état, mais il le savait être malveillant.