Tout à coup, il lui sembla que l’ombre d’une pensée étrangère, qu’il ne lui avait pas suggérée, avait glissé sur son visage comme la buée de l’haleine sur la surface d’un miroir. Pour l’en préserver, la ramener de nouveau au type de sa vision, chasser loin d’elle cette ombre humaine, il commença à lui raconter de sa voix chantante et autoritaire, comme un sorcier une incantation, un de ces récits mystérieux, pareils à un rébus, qu’il inscrivait dans son journal.
— Incapable de résister à mon désir de voir des images inconnues des hommes, conçues par l’art de la nature, durant longtemps je suivis ma route entre des rochers nus et sombres ; j’ai enfin atteint une caverne et m’arrêtai indécis sur le seuil. Puis, décidé, baissant la tête, courbant le dos, la main gauche appuyée sur mon genou droit, de la droite cachant mes yeux pour m’habituer à l’obscurité, j’entrai et fis quelques pas. Les sourcils froncés, les yeux à demi fermés, la vue en éveil, souvent je changeai mon chemin, errant à tâtons dans l’obscurité, essayant de voir quelque chose. Mais l’obscurité était trop profonde. Et lorsque j’y eus séjourné quelque temps, deux sentiments s’éveillèrent en moi et commencèrent à lutter : la peur et la curiosité ; la peur d’explorer la caverne noire et la curiosité de savoir si elle ne recelait point un mystérieux mystère.
Il se tut. L’ombre n’avait pas quitté le visage de Gioconda.