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un boutiquier. Grand amateur d’écrivasserie, le gonfalonier Soderini ennuyait Léonard par ses continuels règlements de comptes pour les moindres sous versés par le Trésor pour les échafaudages, l’achat du vernis, des couleurs, d’huile de lin et autres vétilles.

Jamais au service des « tyrans », comme les dénommait avec mépris le gonfalonier – à la cour de Ludovic le More et de César Borgia –, Léonard n’avait éprouvé un tel esclavage qu’au service du peuple, de la libre république, royaume de l’égalité bourgeoise.

En sortant du Palazzo Vecchio, Léonard s’arrêta sur la place devant le David de Michel-Ange.

Il semblait monter la garde à la porte de l’hôtel de ville de Florence, ce géant de marbre blanc qui se détachait sur le fond sombre des vieilles pierres.

Ce corps d’adolescent nu était maigre. Le bras droit qui tenait la fronde était tendu au point qu’on en voyait les veines ; le gauche tenant la pierre était replié devant la poitrine. Les sourcils froncés et le regard fixé dans le lointain donnaient bien l’impression de l’homme qui vise un but. Au-dessus du front très bas, les cheveux s’emmêlaient comme une couronne.

Sur la place où avait été brûlé Savonarole, le David de Michel-Ange semblait être le Prophète qu’attendit vainement Savonarole, le Héros qu’espérait Machiavel. Dans cette œuvre de son rival, Léonard sentait une âme, peut-être égale à la sienne mais éternellement opposée, comme l’action l’est à la contemplation, la passion à l’impassibilité, la tempête au calme. Et cette