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les mêmes mots simples, demi enfantins, dans ces récits qu’il faisait accompagner par une douce musique.

Léonard fit un signe, et lorsqu’Andrea Salaino et Atalante eurent exécuté le motif qui servait invariablement de prélude au Royaume de Vénus, il commença de sa voix féminine son récit, telle une vieille fable ou une berceuse :

— Les bateliers qui vivent sur les côtes de Cilicie assurent qu’à ceux qui sont destinés à périr dans les flots apparaît, au moment des terribles tempêtes, la vision de l’île de Chypre, royaume de la déesse d’amour. Tout autour bouillonnent les vagues, les tourbillons et les typhons. De nombreux navigateurs, attirés par la splendeur de cette île, ont brisé leurs navires contre les rocs cachés par les remous. Là-bas, sur la côte, on aperçoit encore leurs pitoyables carcasses à demi enlisées sous le sable et enguirlandées de plantes marines ; les uns présentent leur quille, les autres leur poupe, les troisièmes la proue. Et ils sont si nombreux que cela ressemble au Jugement dernier, lorsque la mer rendra tous les navires engloutis. Au-dessus de l’île, le ciel est éternellement bleu, le soleil dore les collines couvertes de fleurs, et l’air est si calme que la longue flamme des trépieds placés sur les marches du temple s’étire vers le ciel, droite et immobile comme les colonnes de marbre blanc et les géants cyprès noirs qui se reflètent dans le lac uni comme un miroir. Seuls les jets d’eau, coulant d’une vasque de porphyre dans l’autre, troublent la solitude par leur douce