et que son premier fiancé avait trouvé une mort volontaire sur un champ de bataille. On affirmait également qu’elle avait une foule d’adorateurs passionnés et obstinés, et désespérés. Cependant, les méchantes gens – et Florence n’en manquait pas – ne pouvaient rien insinuer de malveillant contre la Gioconda. Calme, modeste, pieuse, charitable aux pauvres, elle était bonne ménagère, épouse fidèle et très tendre pour sa belle-fille Dianora.
C’était tout ce que savait d’elle Giovanni. Mais monna Lisa, celle qui venait à l’atelier de Léonard, lui semblait une tout autre femme.
Durant ces trois années le temps n’avait pas transformé, mais au contraire ancré ce sentiment ; à chaque nouvelle visite, il éprouvait un étonnement côtoyant la peur, comme devant quelque chose de surnaturel, d’illusoire. Parfois il expliquait cette sensation par l’habitude qu’il avait de voir son visage sur le portrait, et si sublime était le talent du maître que la véritable monna Lisa lui semblait moins naturelle que celle reproduite sur la toile. Mais il y avait, en outre, quelque chose de plus mystérieux.
Il savait que Léonard n’avait l’occasion de la voir que durant ses séances, en présence de nombreux étrangers, parfois seulement avec la sœur Camilla, et jamais seul à seule ; et cependant, Giovanni sentait qu’il existait entre eux un secret qui les rapprochait et les séparait du reste du monde. Il savait également que ce n’était pas un secret d’amour, du moins l’amour tel qu’on le comprend ordinairement.