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service de la République florentine, Machiavel secoua la tête :

— Vous ne vous en réjouirez pas ! Dieu sait ce qui est meilleur, les crimes d’un héros tel que César Borgia ou les vertus d’une fourmilière comme notre république. Cependant l’un vaut l’autre. Demandez-le-moi ; je connais tant soit peu les beautés du gouvernement populaire ! railla-t-il avec son sourire amer de sceptique.

Léonard lui répéta les paroles d’Antonio Giustiniani au sujet des ruses du renard que Machiavel s’apprêtait à apprendre aux poules et des dents de loup qu’il voulait placer aux agneaux.

— Ce qui est vrai, est vrai, dit débonnairement Nicolas. Les oies rendues enragées, les honnêtes gens seront prêts à me brûler sur le bûcher, parce que le premier j’aurai parlé de ce que font tous les autres. Les tyrans me déclareront émeutier du peuple ; le peuple, soudoyé des tyrans ; les bigots, impie ; les bons, mauvais ; et les mauvais me détesteront parce que je leur paraîtrai plus mauvais qu’eux-mêmes.

Et il ajouta avec une calme tristesse :

— Rappelez-vous nos causeries en Romagne, messer Leonardo. J’y pense souvent, et il me semble parfois que nous avons une destinée commune. La découverte de nouvelles pensées sera toujours aussi dangereuse que la découverte de nouvelles terres. Chez les tyrans et dans la foule, chez les grands et chez les humbles, nous sommes toujours des étrangers, des vagabonds sans abri, des éternels exilés.