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— Ah ! mon Dieu ! Vous entendez ? murmura l’ambassadeur de France à son voisin, à l’oratore vénitien Antonio Giustiniani. Ils vont se battre, il le tuera !

Giustiniani haussa simplement les épaules. Il savait que ce serait plutôt le fils qui tuerait le père, que le père le fils. Depuis le meurtre du frère de César, le duc de Candie, le pape tremblait devant César qu’il aimait encore davantage maintenant, d’une tendresse doublée d’orgueil et de terreur. Tout le monde se souvenait du jeune camérier Perotto qui, s’étant caché sous les vêtements du pape, pour échapper à la colère du duc, fut tué par César sur la poitrine même d’Alexandre VI.

Giustiniani se doutait également que la dispute présente n’était qu’une tromperie, que le père aussi bien que le fils cherchaient à égarer l’ambassadeur français en lui prouvant que, même si le duc avait de secrets projets contre la République florentine, le pape n’y participait pas. Giustiniani disait qu’ils s’entraidaient toujours : le père ne faisant jamais ce qu’il disait, le fils ne disant jamais ce qu’il faisait.

Après avoir menacé le duc, qui sortait, de sa malédiction paternelle et de l’excommunication, le pape revint dans la salle d’audience, tremblant de rage, haletant, ruisselant de sueur. Seulement, tout au fond de ses yeux brillait une étincelle de fine et gaie astuce.

S’approchant de l’ambassadeur de France, de nouveau il le prit à part dans une embrasure de porte donnant sur la cour du Belvédère.