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humblement qu’enfin Léonard l’emmena à l’écart et lui tendit son livre.

Giovanni vit une affreuse caricature.

C’était, non pas le visage de Savonarole, mais celui d’un vieux diable en habit de moine ressemblant à Savonarole, épuisé par des tortures volontaires, sans avoir vaincu son orgueil et sa lubricité. La mâchoire inférieure s’avançait proéminente, des rides sillonnaient les joues et le cou noir comme celui d’un cadavre desséché ; les sourcils arqués se hérissaient, et le regard in-humain, plein de supplication têtue, presque méchante, était fixé vers le ciel. Tout le côté sombre, terrible et dément, qui asservissait le frère Savonarole à la puissance du fanatique Maruffi, était mis à nu dans ce dessin, sans colère, sans pitié, avec une imperturbable clarté d’observation.

Et Giovanni se souvint des paroles de Léonard de Vinci : « L’ingegno del pittore vuol essere a similitudine del specchio… » L’âme de l’artiste doit être semblable au miroir qui reflète tous les objets, tous les mouvements, toutes les couleurs, en restant, elle, immobile, rayonnante et pure.

L’élève de fra Benedetto leva les yeux sur Léonard et il sentit que, même s’il était voué à la perdition éternelle, même s’il avait la certitude que Léonard était le serviteur de l’Antéchrist, il pouvait quitter celui-ci, mais une force surnaturelle le ramènerait à cet homme – auquel il devait être attaché jusqu’à sa fin.