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profits de cette action pleine de profonde sagesse : premièrement, il a arraché avec la racine l’ivraie des discordes semées en Romagne par les premiers tyrans ; deuxièmement, ayant convaincu le peuple que toutes les cruautés avaient été commises à son insu, il s’est lavé les mains, a rejeté toute la responsabilité sur la tête de son lieutenant, et a profité des excellents fruits de son régime ; troisièmement, offrant en sacrifice au peuple son serviteur bien-aimé, il s’est posé comme le plus haut et le plus intègre justicier.

Nicolas parlait d’une voix calme, tranquille, conservant sur son visage une impassibilité impénétrable. Seulement au fond de ses yeux brillait, tantôt s’allumant et tantôt s’éteignant, une étincelle d’impertinente raillerie.

— Oh ! c’est une merveilleuse justice, il n’y a pas à dire ! s’écria Luccio. Mais d’après vos paroles, messer Nicolo, cette soi-disant justice n’est que la pire des abominations !

Le secrétaire de la République florentine baissa les yeux, afin d’y éteindre la flambée moqueuse.

— C’est fort possible, messer, dit-il froidement. Mais qu’importe ?

— Comment, qu’importe ! Alors pour vous une pareille abomination est digne du nom de « sagesse » ?

Machiavel haussa les épaules.

— Jeune homme, quand vous aurez acquis une certaine expérience en politique, vous verrez vous-même qu’entre la façon dont agissent les gens et celle dont