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— Excellence, si vous les pendez tous, quel profit en aurais-je, et cela reconstituera-t-il mon œuvre ? Ils ne savent pas ce qu’ils font.

Le vieillard resta un instant pensif. Tout à coup sa figure s’illumina. Ses yeux intelligents reflétèrent une grande bonté.

— Écoute, messer Leonardo, je ne comprends pas une chose. Comment se fait-il que tu restais là et regardais ? Pourquoi n’as-tu rien dit, pourquoi ne t’es-tu pas plaint au sire de La Trémoille ? Il a dû justement passer ici tout à l’heure.

Léonard baissa les yeux et dit, balbutiant, rougissant tel un coupable :

— Je n’ai pas eu le temps… Je ne connais pas le sire de La Trémoille.

— Dommage, conclut le vieillard, en regardant la ruine. J’aurais donné cent de mes meilleurs soldats pour ton Colosse…

En retournant chez lui et traversant le pont de l’élégante loggia Bramante où avait eu lieu sa dernière entrevue avec Ludovic, Léonard vit des pages et des palefreniers français qui s’amusaient à chasser les cygnes apprivoisés, les favoris du duc de Milan. Ils les tiraient à l’arc. Dans le fossé étroit défendu de tous côtés par de hauts murs, les oiseaux se débattaient épouvantés. Parmi le duvet et les plumes blanches, sur le fond noir de l’eau, nageaient en se balançant des corps ensanglantés. Un cygne fraîchement blessé, le cou tendu, poussait un cri perçant et plaintif, agitait ses ailes affaiblies comme s’il eût tenté de s’envoler devant la mort.