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Léonard voulait partir, mais cloué à la place comme en un affreux et stupide rêve, il regardait, résigné, la destruction de l’œuvre à laquelle il avait consacré les seize plus belles années de sa vie, peut-être la plus grandiose production de la sculpture depuis Praxitèle et Phidias. Sous la pluie des balles, des flèches, des pierres, la terre s’effritait, se détachait par larges mottes, s’envolait en poussière, mettant à nu le bâti, tels les os d’un squelette de fer.

Le soleil se montra de derrière les nuages. Dans cette joyeuse éclaboussure de lumière, le Colosse démantelé apparaissait plus misérable encore, avec son héros décapité sur son cheval sans jambes, son sceptre brisé et son inscription Ecce deus !

À ce moment, le commandant en chef du roi de France, le vieux maréchal Jean-Jacques Trivulce, traversa la place. Il regarda le Colosse, s’arrêta interdit, le regarda de nouveau en abritant de sa main ses yeux contre le soleil, puis se tournant vers les gens de sa suite :

— Qu’est-ce ?

— Monseigneur, répondit obséquieusement un lieutenant, le capitaine Georges Cocqueburne a autorisé les arbalétriers, de sa propre initiative.

— Le monument de Sforza, s’écria le maréchal, l’œuvre de Léonard de Vinci, qui sert de cible aux arbalétriers gascons !

Il marcha vivement vers le groupe des soldats, saisit au collet un frondeur picard, le roula à terre et éclata en jurons.