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Puis les deux moines se rendirent aux vêpres, laissant Giovanni seul.

En rentrant, ils le trouvèrent étendu par terre, sans connaissance, devant le crucifix. Entre ses doigts raidis il serrait l’amulette.

Pendant trois mois, Giovanni resta entre la vie et la mort. Fra Benedetto ne le quittait pas d’un instant.

Souvent, dans le silence de la nuit, assis au chevet du malade, il écoutait son délire et s’effrayait.

Giovanni rêvait de Léonard de Vinci et de la Sainte Vierge qui, tout en dessinant sur le sable des figures géométriques, apprenait au Christ les lois de l’éternelle nécessité.

— Pourquoi pries-tu ? répétait le malade avec un infini ennui. Ne sais-tu pas que le miracle ne peut exister, que tu ne peux éviter cette coupe, comme la ligne droite ne peut ne pas être la distance la plus courte entre deux points ?

Une autre vision le tourmentait aussi – deux visages de Christ opposés et semblables, comme des sosies : l’un plein de faiblesse et de souffrance humaines ; l’autre terrible, étrange, tout-puissant et omniscient, le Verbe devenu corps, le Premier Moteur. Ils étaient tournés l’un vers l’autre comme deux adversaires éternels. Et à mesure que Giovanni les examinait, le visage du faible s’assombrissait, se convulsait, se transformait en démon pareil à celui que Léonard jadis avait crayonné dans la caricature de Savonarole, et, accusant son sosie, l’appelait l’Antéchrist…