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— Adieu, murmura-t-il, et sa voix trembla. Adieu, cher Léonard ! Qui sait si nous nous reverrons ?

— Votre Altesse nous abandonne ?

Le duc soupira péniblement et ne répondit pas.

— Oui, mon ami, reprit-il. Voilà seize ans que nous vivons ensemble et je n’ai de toi que de bons souvenirs, et toi aussi tu n’en as pas de mauvais de moi. Que les gens disent ce qui leur plaira, mais dans les siècles futurs, celui qui nommera Léonard pensera aussi un peu à Ludovic le More !

L’artiste, qui n’aimait pas les effusions sentimentales, prononça les seules paroles qu’il gardait en sa mémoire pour les circonstances où l’éloquence de cour était indispensable.

— Monseigneur, je voudrais avoir plusieurs vies pour les mettre toutes au service de Votre Altesse.

— Je le crois, répondit le duc. Un jour tu te souviendras peut-être de moi et tu me plaindras…

Il n’acheva pas, sanglota, enlaça fortement Léonard et l’embrassa sur les lèvres.

— Allons, que le Seigneur soit avec toi ! que le Seigneur soit avec toi !

Quand Léonard fut parti, Ludovic resta longtemps encore assis sur la galerie Bramante, admirant les cygnes, et dans son cœur s’élevait un sentiment qu’il n’aurait pu exprimer par des mots. Il lui semblait que, dans sa vie sombre et criminelle, Léonard était pareil aux cygnes blancs dans le fossé du palais, sur l’eau noire, entre les menaçantes meurtrières, les tours, les poudrières, les pyramides de bombes et les