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qui lui plaisait tellement lorsqu’il en était le maître, telle l’araignée dans sa toile, et où il se sentait maintenant pris comme un moucheron.

Ayant achevé ses travaux, le duc se dirigea vers la galerie de Bramante qui surplombait un des fossés du palais.

La nuit était calme. Par moments seulement on entendait le son de la trompe, les appels des veilleurs, le grincement de la lourde chaîne de fer du pont-levis.

Le page Ricciardetto apporta deux torches qu’il ficha dans les chandeliers de bronze scellés dans le mur et posa devant le duc un plat d’or contenant du pain coupé en menus morceaux. D’un coin du fossé, glissant sur le fond sombre de l’eau, attirés par la lueur des torches, surgirent des cygnes blancs. Appuyé sur la balustrade, le duc jetait les morceaux de pain et admirait l’adresse avec laquelle les cygnes les attrapaient, l’élégance avec laquelle silencieusement ils fendaient de leur poitrail le miroir de l’eau.

La marquise Isabelle d’Este, sœur de feu Béatrice, lui avait envoyé en cadeau ces cygnes de Mantoue. Il les avait toujours aimés, mais ces derniers temps il s’y était attaché encore davantage et chaque soir venait leur jeter la pâtée de ses propres mains, ce qui constituait son unique délassement après les tourmentantes pensées des affaires de l’État, de la guerre, de la politique, de ses trahisons et de celles des autres. Les cygnes lui rappelaient son enfance ; alors aussi il les nourrissait de même, dans les marais verdis de Vigevano.