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Il faisait nuit. Giovanni distinguait avec peine le visage de son compagnon. Il lui semblait étrangement changé.

Cesare se tut, et longtemps ils marchèrent sans parler dans la nuit de plus en plus assombrie.

— Te souviens-tu, Cesare ? demanda enfin Giovanni, il y a trois ans, nous marchions ensemble ici même et discutions de la Sainte Cène. Tu te moquais du maître alors ; tu disais qu’il n’achèverait jamais son Christ et j’affirmais le contraire. Maintenant c’est toi qui le soutiens contre moi. Je n’aurais jamais cru que toi, précisément toi, tu pourrais parler ainsi de lui…

Giovanni voulut regarder le visage de son compagnon, mais Cesare se retourna.

— Je suis heureux, conclut Beltraffio, que tu l’aimes, oui, que tu l’aimes, Cesare, peut-être plus que moi. Tu veux le haïr et tu l’aimes !

Cesare, lentement, tourna vers lui son visage pâle et convulsé.

— Que croyais-tu ? Certainement, je l’aime ! Comment ne l’aimerais-je pas ? Je veux le haïr et suis forcé de l’aimer, car ce qu’il a fait dans la Sainte Cène, personne, peut-être même pas lui, ne le comprend comme moi, son plus mortel ennemi !

Et riant de nouveau de son rire forcé :

— Quand on pense… quelle drôle de chose que le cœur humain ! Puisque nous parlons de cela, je vais t’avouer la vérité, Giovanni : je ne l’aime tout de même pas, moins encore maintenant…