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tous ces gens-là ?… ils vous donnent envie de vomir… Des pourritures ! Et cependant, ils n’ont pas honte et se croient les égaux des antiques !… Et de quoi se réjouissent-ils ? Tiens, un mien ami m’écrit de Grèce que, dernièrement, dans l’île de Chio, les lavandières du monastère, nettoyant le linge à l’aube, ont trouvé un véritable dieu ancien, un triton, avec une queue de poisson et des nageoires. Elles en eurent peur, les bêtes. Elles ont cru que c’était le diable et elles se sont sauvées. Puis, voyant qu’il était vieux, faible et malade probablement, puisqu’il restait étendu sur le sable, grelottant et chauffant son dos vert au soleil, les ignobles femmes prirent courage, l’entourèrent en récitant des prières, et se mirent, au nom de la Sainte Trinité, à le frapper de leurs battoirs. Elles l’ont mis à mort comme un chien, ce dieu antique, le dernier des dieux de l’Océan, peut-être bien le petit-fils de Neptune.

Le vieillard se tut, sa tête s’inclina, morne, sur sa poitrine, et deux larmes roulèrent de ses yeux, deux larmes de pitié pour l’antique phénomène marin tué par les lavandières chrétiennes.

Un valet, portant des lumières, entra dans la pièce et ferma les volets. Les visions païennes s’évanouirent. Merula, alourdi par le vin, ne put descendre souper avec son hôte ; il fallut le mettre au lit comme un enfant. Cette nuit-là, longtemps, Beltraffio écouta l’insouciant ronflement de messer Giorgio, et ne parvenant pas à s’endormir, il songea à ce qui était sa pensée obsédante – à Léonard de Vinci.