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Mais Léonard les regardait avec une curiosité avide, comme un savant qui fait une expérience. Lorsque la monstruosité fut à son comble, il prit un papier et dessina ces abominations, du même crayon et avec le même amour qu’il eût dessiné le sourire divin de la Vierge Marie.

Le soir, il m’a montré une quantité de caricatures, non seulement de gens, mais d’animaux affublés de figures de cauchemar. Dans les animaux transparaît l’homme, dans les hommes l’animal, l’un passant à l’autre facilement et naturellement jusqu’à l’horreur. Je me souviens particulièrement du museau d’un porc-épic tout hérissé, avec une lèvre inférieure pendante, molle et fine comme un chiffon, découvrant, en un hideux sourire humain, des dents longues et blanches pareilles à des amandes. Je n’oublierai jamais non plus le visage de la vieille aux cheveux relevés en une coiffure sauvage, avec une natte maigre, un front démesurément chauve, un nez épaté, petit, telle une verrue, et des lèvres monstrueusement épaisses, rappelant les champignons flétris et gluants qui poussent sur les troncs d’arbres pourris. Et le plus terrible est que ces monstres vous semblent familiers, qu’on les a déjà vus quelque part, et qu’ils ont en eux une séduction qui vous attire et vous repousse en même temps comme un abîme. On les regarde, on se tourmente et on ne peut en arracher les yeux, non plus que du sourire de la Vierge. Et là et ici, l’étonnement vous saisit comme devant un miracle.