Page:De Merejkowsky - Le Roman de Léonard de Vinci, 1907.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II

Durant ce temps, au fond de l’entrepôt où les ballots empilés jusqu’au plafond étaient éclairés nuit et jour par une lampe qui brûlait devant l’image de la Madone, trois jeunes gens causaient : Doffo, Antonio et Giovanni. Doffo, commis principal de messer Buonaccorsi, les cheveux roux, le nez très long, le visage naïvement gai, inscrivait dans un livre le métrage des draps. Antonio da Vinci, jeune homme à la figure usée et ridée, aux yeux vitreux inexpressifs, aux rares cheveux noirs hérissés en épis volontaires, mesurait rapidement les étoffes à l’aide de l’ancienne mesure florentine, la canna. Giovanni Beltraffio, élève peintre, qui venait d’arriver de Milan, adolescent de dix-neuf ans, timide et gauche, portant dans ses yeux gris une tristesse infinie et en toute sa personne une profonde indécision, était assis, les jambes croisées, sur un ballot et écoutait.

— Voilà à quoi nous en sommes arrivés, disait Antonio à voix basse et rageuse. On déterre les idoles.

— Drap d’Écosse, poilu, marron, trente-deux coudées, six pieds, huit pouces, ajouta-t-il en s’adressant à Doffo qui inscrivit sur le grand-livre.

Puis, repliant le morceau mesuré, Antonio le jeta,