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LA TIARE DE SALOMON

d’animal s’effala au milieu de la tente dans un concert de vociférations.

Le claquement de deux giffles que l’on applique rompit le silence glacial qui avait suivi les cinq détonations.

— Vieille citrouille ! vieille chaussette !

— Vous n’êtes qu’une furie ! une véritable furie, madame !

Une autre giffle plus retentissante que les deux premières s’appliqua sur la figure de M. Ricochet, et Mme Sigouard, car c’était elle, se campa écumante, devant le vieux secrétaire.

Quand le baron ouvrit les yeux, un spectacle inattendus s’offrit à sa vue.

Au centre de la tente le chameau gisait raide mort.

Voici ce qui s’était passé.

À quelque distance du campement, le chameau, entêté comme une mule, avait refusé d’avancer ou de s’agenouiller. Son cornac essaya en vain tous les moyens de persuasion. Les menaces, les coups, rien n’y fit : la bête restait immobile, figée.

— Attends, dit Sidonie à son mari, et avec une longue épinglé qui retenait sa casquette à son chignon, elle piqua l’animal.


L’effet fut immédiat, désastreux.

Le chameau bondit, renversa l’hindou, sortit du bois et pénétra comme un bolide dans la tente du baron.

Maintenant le coup d’œil était horrible à voir.

Rendu furieux par les soufflets. M. Ricochet s’était rué sur Mme Sigouard et tous deux solidement enlaces roulèrent sur la pile de tapis sous laquelle le baron Dimono se tenait blotti.

On entendait ces cris :

— J’étouffe ! au secours ! de l’air !

— J’ai ta peau !

— Attrape, vipère !

Quand les hindous rentrèrent dans la tente, ils trouvèrent M. Ricochet tenant d’une main son nez tuméfié et de l’autre son pantalon dont les bretelles étaient restées en la possession de Mme Sigouard.


V

CHAPITRE


Le lendemain dès l’aube, la petite troupe se remit en marche mais la mort du chameau avait modifié singulièrement le système de transport des voyageurs.

Sur le seul éléphant se trouvaient véhiculés maintenant tous nos explorateurs. Sur le cou de l’animal, derrière le cornac M. Ricochet avait le premier pris place, l’œil droit encore recouvert d’une forte compresse d’arnica. Dans le palanquin se trouvaient serrés comme des harengs le baron Simono et les deux Sigouard. Devant et derrière le pachyderme cheminaient à pied la petite troupe d’hindous proposée à la sécurité de l’expédition.

Le baron Simono paraissait atteré du début de son vovage, et de temps à autre des paroles aigres s’échappaient de ses lèvres à l’égard de ses compagnons de route :

— Ca commence bien ! On n’a pas idée d’avoir à son service des gens pareils.

M. Ricochet crut devoir protester !

— Je vous prie de croire, monsieur le baron, que ça n’a pas à moi !

— Taisez-vous, monsieur, taisez-vous, rugit le baron, tuer un chameau de douze cents francs, et se battre avec une femme comme un chiffonnier, vous avouerez franchement que c’est tout bonnement une honte, et il ajouta avec un rire amer : d’ailleurs madame Sigouard n’a rien à vous envier, car en la circonstance elle s’est conduite simplement comme une marchande de poisson !

(À suivre)