Page:De Lamennais - Paroles d'un croyant, 1838.djvu/114

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et de fois à autre sa poitrine gonflée laissait échapper un court sanglot, et d’une voix cassée, il disait :

Je n’avais qu’un fils, ils me l’ont pris ; qu’une pauvre vache, ils me l’ont prise pour l’impôt de mon champ.

Et puis, d’une voix plus faible, il répétait : Mon fils, mon fils ! et une larme venait mouiller ses vieilles paupières, mais elle ne pouvait couler.

Comme il était ainsi s’attristant, il entendit quelqu’un qui disait : Mon père, que la bénédiction de Dieu soit sur vous et sur les vôtres !

Les miens, dit le vieillard, je n’ai plus personne qui tienne à moi ; je suis seul.

Et, levant les yeux, il vit un pèlerin debout, à la porte, appuyé sur un long bâton ; et sachant que c’est Dieu qui envoie les hôtes, il lui dit :

Que Dieu vous rende votre bénédiction. Entrez, mon fils : tout ce qu’a le pauvre est au pauvre.

Et allumant sur le foyer son faix de ramée, il se mit à préparer le repas du voyageur.

Mais rien ne pouvait le distraire de la pensée qui l’oppressait : elle était là toujours sur son cœur.

Et le pèlerin, ayant connu ce qui le troublait si amèrement lui dit : Mon père, Dieu vous éprouve par la main des hommes. Cependant il y a des misères plus grandes que votre misère. Ce n’est pas l’opprimé qui souffre le plus, ce sont les oppresseurs.