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Seigneur, assez, assez !

En voilà deux qui jettent leurs crocs de fer sur un peuple. Chacun en emporte son lambeau.

Le glaive a passé et repassé. Entendez-vous ces cris déchirants ? ce sont les plaintes des jeunes épouses, et les lamentations des mères.

Deux spectres se glissent dans l’ombre ; ils parcourent les campagnes et les cités. L’un, décharné comme un squelette, ronge un débris d’animal immonde ; l’autre a sous l’aisselle une pustule noire, et les chacals le suivent en hurlant.

Seigneur, Seigneur, votre courroux sera-t-il éternel ? votre bras ne s’étendra-t-il jamais que pour frapper ? Épargnez les pères à cause des enfants. Laissez-vous attendrir aux pleurs de ces pauvres petites créatures qui ne savent pas encore distinguer leur main gauche de la droite.

Le monde s’élargit, la paix va renaître, il y aura place pour tous.

Malheur ! malheur ! le sang déborde ; il entoure la terre comme une ceinture rouge.

Quel est ce vieillard qui parle de justice en tenant d’une main une coupe empoisonnée, et caressant de l’autre une prostituée qui l’appelle Mon père ?

Il dit : C’est à moi qu’appartient la race d’Adam. Qui sont parmi vous les plus forts, et je la leur distribuerai ?

Et ce qu’il a dit, il le fait ; et de son trône, sans se lever, il assigne à chacun sa proie.