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fier et qui a su développer de la façon la plus pathétique, durant deux cents pages, l’histoire de trois ou quatre cœurs simples en qui le mal est absent. En vérité il n’y a pas une ombre, pas une note de trop dans la glorieuse carrière de Maria Chapdelaine. Et l'on se dit que si l'humanité entière avait cette patiente simplicité décrite par Hémon et ce respect ingénu des beaux sentiments, eh bien, elle ne connaîtrait ni les alarmes ni les horreurs de notre belle civilisation.

Car ce fut le soir même que notre petit groupe sut ce qui se passait en Europe. Nous avions contourné le lac Saint-Jean, véritable mer intérieure, large de cinquante kilomètres. C'était pour aller à un endroit, la Pointe-Bleue, où l’on per- met aux Indiens de venir vendre pendant la belle saison le produit de leurs chasses d'hiver. Nous tournions autour de leur campement, nous visitions leurs tentes, nous nous pen- chions avec pitié vers leurs enfants couchés sur la terre au milieu de débris de toute sorte. Tous ces visages étaient inof- fensifs ; ils n’exprimaient ni haine, ni crainte, ni curiosité ; on n'y lisait en vérité qu’un sentiment, mais irréductible : le refus de notre civilisation. Et ce fut là, devant ces témoins inattendus, que nous reçûmes, d’un Canadien venu de Ja ville voisine, les nouvelles de notre monde, de notre civilisation. Un pacte était signé entre l'Allemagne et la Russie; Ja Pologne, encerclée, devait faire face à des exigences accrues ; la guerre semblait inévitable.

Nous nous regardions, les uns consternés, les autres prêts à nier, à espérer encore. Sur les faces plates et indolentes des Indiens, dans leurs yeux habiles à épier, je voyais se refléter notre confusion. Ah! pour rapporter l'émotion de cette mi- nute, je ne veux pas faire appel à Jean-Jacques. Pourtant, que l’on me croie, j'ai eu le sentiment d’être jugé par ces prétendus sauvages.

Pris de honte, je détournai le regard. Le soleil n'était plus