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la figure de Louis Hémon, car il n’est guère probable que cet étranger nullement bavard, ce passant d’une saison, ait, avant la publication de Maria Chapdelaine, retenu leur attention. On sait d’ailleurs que ce n’est pas dans la région même que le roman a été le plus goûté; et notre conducteur, vigoureux homme de trente-cinq ans, qui n’était autre, m'a-t-on assuré, que le gamin nommé Télesphore dans Maria Chapdelaine, m'a même dit avec un peu de mauvaise humeur que les sens de chez lui n’ont jamais parlé ni vécu comme Hémon l’a écrit. Nul n’est prophète...

Néanmoins on ne refuse pas la gloire, et Péribonka a adopté Hémon. De la maisonnette où il habita, on a fait un petit musée où l’on montre son lit, sa machine à écrire, sa valise. M'° Eva Bouchard, qui servit de modèle à l'héroïne, en est la conservatrice. C’est aujourd’hui une personne dont le visage mince, à l'expression fine et recueillie, est encadré de ban- deaux gris. Je ne suis pas assuré qu'elle ait jamais été « une belle grosse fille », comme Hémon l’a écrit de Maria. L’art a des mensonges nécessaires, ou plutôt, comme Balzac l’a dit, pour créer un type littéraire il faut plus d’un spécimen humain.

Le déjeuner qu’elle avait préparé pour ses invités de France comportait plusieurs spécialités canadiennes, notamment des bleuets arrosés de sirop d'érable. Qu'on ne pense pas aux fleurs des champs, comme les Canadiens m'’affirment que l’au- teur du film français l’a fait, mais à ce que nous nommons myrtilles.

Plusieurs hauts personnages français et canadiens célébrè- rent ensuite le roman d’Hémon. Qui jugerait excessive cette consécration officielle ? Voici une œuvre d’imagination pure, et il se trouve qu’elle a permis à deux peuples de mieux se convaître, à deux branches de la même famille de communier ensemble. Voici un auteur qui n’a jamais eu le propos d’édi-