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de nos autos, c'était généralement vers le cimetière tout proche que je me dirigeais. Sur les dalles couchées dans l'herbe, quelle étonnante résurrection de vieux prénoms de chez nous ! Ludivine, Nazaire, Florestine, j'avais la vision de toute une assemblée d’oncles provinciaux et de servantes au grand cœur. La seule figure étrangère c'était la devanture de l’épicerie qui me l’offrait, bariolée de panneaux anglais et garnie de boîtes de conserves américaines. Mais même là, pour faire une em- plette, le français était la monnaie courante.

Les routes du Nord ne sont pas toutes très bonnes ; nous avions pris la plus pittoresque, mais la plus montagneuse aussi et la plus longue. Panoramas variés, où le roc succédait au champ, la cascade au roc, et qu’il faudrait réduire au cin- quième pour les ajuster à un paysage européen. Au Canada, la rivière ressemble à un lac et le lac à une mer. Ce fut du moins mon impression lorsque, après deux longues étapes, nous atteignimes le lac Saint-Jean au bord duquel Louis Hémon séjourna plusieurs mois et reçut l’inspiration de Maria Chap- delaine.

Est-ce possible ! Il y a vingt-cinq ans, ces champs, ces pâtu- rages, ces maisons, n’existaient pas ? Rien n’était défriché sur les bords de ce lac ? On a peine à le croire. Quand on a tra- versé une forêt canadienne, vu de près ces arbres pas très hauts, mais serrés et enracinés les uns contre les autres, on n'arrive pas à penser qu'une seule génération d'hommes ait pu dompter cette brousse et s’y installer.

C’est bien pourtant ce qu'ont fait les colons défricheurs qu'Hémon a aidés de ses mains avant de décrire leur vie dans son livre. Et la première personne que nous vimes à Péri- bonka — but du pèlerinage — fut le père Chapdelaine, je veux dire M. Samuel Bédard, chez qui Hémon vécut et tra- vailla.

Les gens du pays ont dû créer un peu de légende autour de