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des titres de grandeur[1], & que s’égalant à la Divinité, il a exigé des autels & des adorations ? Mais disconviendra-t-il qu’il ne soit le plus misérable des Etres, le seul qui ose s’éloigner de l’ordre, le seul dont le repentir aille jusqu’au désespoir, le seul que l’on voie maudir son existence & redemander l’anéantissement. De toutes les prérogatives

  1. Voici un essai en ce genre. Je le transcris d’autant plus volontiers qu’il est d’une bonne plume.
    « Chaque chose tient son rang dans la Nature ; mais l’homme qui tient un rang dans le Monde, & qui le fait, est plus parfait que toutes les autres choses & plus cet esprit se trouve renfermé dans un petit espace, plus il est merveilleux, puisque par un prodige particulier, il assemble quand il lui plait, dans un atome, la Terre & les Cieux, ce que nous voyons & ce que nous ne voyons pas des immenses espaces qui nous environnent, qu’il parcourt toutes les parties de l’Univers sans se mouvoir, d’une manière plus admirable & plus surprenante que s’il se mouvoit, qu’il assemble dans la simplicité d’un homme le passé, le présent & l’avenir, la vie & la mort, la lumière & les ténèbres, les éléments les plus contraires & les qualités les plus incompatibles.
    De toutes les choses que nous voyons, l’homme est la seule qui sent sa misère & son indigence ; elle est donc la plus parfaite. Il n’y a qu’un Etre plus noble & plus élevé que les autres qui puisse être misérable, puisqu’il se fournit l’Etre que par la connoissance.
    Qu’est-ce donc que l’homme qui se trouve toujours pauvre & toujours misérable dans quelque degré de prospérité qu’il parvienne ? Il faut que ce soit un Etre dont l’excellence est disproportionnée à tout ce que nous voyons. Ainsi le sentiment de notre indigence est un des plus grands caractères de notre grandeur.
    J’avoue que notre esprit & notre cœur sont également insatiables. L’un n’est jamais las de connoitre, l’autre n’est jamais las de désirer. Mais ce qui fait leur différence en cela, marque leur perfection.
    Le désir de connoitre marque à la vérité qu’un homme n’a pas toutes ses connoissances, c’est-à-dire, qu’il n’est pas infini ; mais il fait voir qu’un homme peut connoitre toutes, & qu’ainsi son excellence n’est point limitée à cet égard.
    Il en est de même des désirs du cœur de l’homme, qui renaissent incessamment & qui ne trouvent rien qui puisse les satisfaire. Ils sont donc à la vérité que l’homme n’a pas tout ce qu’il faut pour être heureux, mais ils marquent en même tems, que tous les avantages temporels sont incapables de le satisfaire, & qu’il est plus grand que le Monde & que tous les biens du Monde, & qu’il est fait par moins qu’un objet infini pour le remplir. » ABADIE, Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne, §. I. Chap. 2.
    Cela s’appelle perdre les choses de bon côté. Que de bons vers sont pleins de paralogismes semblables qu’on adopte trop légèrement ! Pour montrer le lieu de celui-ci, un instant de réflexion suffit. On les défaits de l’homme ne prouvent point sa grandeur ; ou cette grandeur même est la source de sa misère.