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convenez aussi que ces affections dans lui, ne ressemblent en rien, même pour le fonds, aux passions des mortels. S’il se repent d’avoir créé l’homme, cette repentance n’a rien de commun avec le chagrin que l’on conçoit d’une fausse démarche, ou d’une disgrace imprévue. De quoi s’affligeroit ce maître absolu ? Il a tout arrangé. Rien n’arrive contre sa volonté[1]. La révolte d’un ver de terre porteroit-elle l’épouvante au trône de l’éternel ? Il n’acquiert point de nouvelles lumieres ; la droiture n’a pas besoin de rectifier ses sentimens, ni de réformer ses opérations. Comment donc connoître la maniere dont le mal moral l’affecte, dont il compâtit à nos miseres ? Où en est le type ?

Pourquoi s’obstiner à vouloir déchirer le voile sacré dont cet objet invisible se plaît à

  1. Nihil est contra Dei voluntatem, cum nihil sit præter ejusdem voluntatem. NEMES :
    L’homme ne peut donc pas offenser Dieu, sa nature étant trop sublime & tout-à-fait inaccessible aux traits de l’Etre fini ? Ses blasphèmes ne pénetrent donc pas jusqu’au ciel ? Et celui qui peut tourner à son gré toutes nos facultés, n’est pas fondé à se plaindre qu’elles lui soient contraires? Il seroit aisé de pousser cette objection. Mais pour y répondre, il faut d’abord faire disparoître tout terme équivoque. Qu’entendez-vous par offenser Dieu ? Est-ce l’outrager, lui faire une injure dont il conçoive un déplaisir réel, qui trouble sa félicité ? Alors j’avoue la conséquence dans toute son extension. Elle est exacte. Mais si ces mots, offenser Dieu, signifient simplement encourir sa disgrace, ou plutôt mériter la peine qui, selon ses décrets immuables, marche à la suite du vice, comme l’ombre suit le corps ; je nie la conséquence & le conséquent, faux l’un & l’autre, & tout-à-fait étrangers à mon sujet. Dieu punit, puis il récompense, sans qu’un sentiment d’amour succède dans lui à un mouvement de vengeance. Son essence immuable ne passe point d’un état à l’autre. Mais cette immutabilité contraste avec les apparences. Voilà le mystere. Si j’entreprenois de le pénétrer, je commencerois par dire que la Nature Divine est éternellement unie à ce qui est bon, & éternellement incompatible avec ce qui est mauvais. Puis je m’arrêtois tout à coup, ne voyant au delà qu’imperscrutabilité.