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subtil qu’il puisse être : les moindres nuances du vice & de la vertu n’échappent point à la délicatesse de son goût. Mais l’homme qui se refuse sans cesse aux impulsions de la bienveillance naturelle, pour se livrer à celles des passions & de l’amour-propre, sent bien moins les distinctions morales. L’instinct moral ne meurt pas ; mais il s’affoiblit, se vicie, se déprave ; comme on se gâte le goût corporel par l’usage des épiceries & des liqueurs fortes.

Une troisieme source de la dépravation des sentimens moraux, c’est la vaine subtilité de l’esprit ; & le coup le plus funeste que l’on ait porté à la morale, a été de la soumettre aux opérations de l’entendement. En faisant dépendre les inspirations de la nature d’une métaphysique incertaine, on nous a fait perdre l’habitude de sentir le juste & l’injuste ; on nous a appris à en combiner les notions, à les analyser, à en rechercher l’origine où elle n’étoit pas, à leur en forger une. Et quels systêmes monstrueux ne sont pas nés de cette licence sacrilege ? C’est ici qu’il est bien vrai de dire que l’homme qui raisonne le moins, est le plus vertueux. Il est étrange jusqu’à quel point les méditations de ceux qui ont écrit de la morale, du droit & de la politique nous font oublier, j’ose dire mépriser, les devoirs de l’homme & du citoyen que la nature