Page:De La Nature.djvu/395

Cette page n’a pas encore été corrigée

me fait approuver sans goût pour ce que je dis être bien, & qui dans le cas contraire me fera blâmer un crime, sans m’en faire sentir l’horreur. Que l’innocence soit opprimée, je dirai froidement : cela n’est pas juste. Qu’un ami sauve la vie à son ami, je dirai aussi froidement : il a bien fait ; à peu près comme je dis que deux & deux font quatre, & que trois & deux ne font pas six. Les vices & les vertus ne me toucheront pas plus que la vérité & la fausseté de ces propositions. J’aurai raison de les traiter de vérités & de mensonges spéculatifs, puisqu’ils n’atteindront pas la partie sensitive de mon ame. Rendez mon approbation voluptueuse : faites qu’un plaisir indéterminé me porte à louer telles actions, qu’un chagrin involontaire m’en représente d’autres comme blâmables ; je m’affectionne aussitôt aux actions vertueuses & à leurs termes, & le vice me répugne par la constitution physique de mon être. Pensez-vous que la simple connoissance du bon ou mauvais état de notre corps eût suffi pour lui assurer la bienveillance de l’ame ? Le plaisir & la douleur ont tout un autre pouvoir. Voilà pourquoi l’ame est affectée d’une façon agréable ou désagréable, selon le rapport des objets avec notre corps. Je m’imagine de même que notre affection pour les autres hommes seroit bien foible, bien chancelante,