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le plaisir exquis d’exercer leur curiosité, & l’espoir trompeur de la satisfaire.

Dans l’explication des phénomenes naturels, le génie ne peut que partir d’une supposition quelconque. Qu’il ne se lasse donc pas de supposer, jusqu’à ce que le hazard, plus fécond que le génie, lui présente une hypothese, qui, en combinant tous les effets, je n’en excepte pas les plus extraordinaires, les réduise d’abord à un seul effet général, & exprime ensuite de celui-ci tous les détails particuliers.

I. L’homme souffre, l’homme est méchant. Pensée chagrinante, que l’amour propre rend chaque jour plus amere ; que la réflexion aggrave ; que la raison désolée trouve révoltante. Les solutions ne nous manquent pourtant pas. Mais toutes peu satisfaisantes, elles n’ont que l’avantage de nous rapprocher de la vérité, en nous épargnant des erreurs[1].

  1. Le systême de Mane’s, plus ancien que lui, ne mérite pas la moindre attention. Il étoit trop foible, pour être bien réfuté. C’est ce qui a fait sa grande vogue pendant deux siècles. Car rien n’est moins philosophique que d’expliquer des effets sensibles par un principe inconnu.
    Peut-on avancer sans présomption que des causes générales & défectueuses soient plus dignes d’une intelligence infinie, que des causes particulières, exemptes de vice ? Connoissez-vous assez l’Essence Divine, pour décider ce qui lui convient le mieux ? Cette Métaphysique est incertaine & dangereuse.
    Les Théologiens ne sont guère conséquens, lorsque, d’après st. Basile, ils rapportent l’origine du mal à la liberté de l’homme, & qu’ils soutiennent avec un autre Docteur, que Dieu peut, sans détruire ce libre arbitre, l’incliner infailliblement vers le bien.
    Lactance dit sérieusement que les biens sont mêlés de maux, pour nous faire mieux goûter les premiers. Ainsi le mal est l’assaisonnement du bien. Les ombres d’un tableau en font fortir les couleurs. Dieu a voulu nous rendre le plaisir plus piquant en le mêlant d’amertume. Est-ce aussi pour nous donner une idée plus précise du juste, qu’il nous fit capables d’injustice ?
    Quelques-uns se contentent de dire que le mal est entré dans le Monde par le péché d’Adam. Mais un mystère n’est point éclairci par un autre plus grand. D’ailleurs c’est une règle de la plus sage critique, qu’on ne doit faire intervenir la Révélation, que pour ce qui n’est pas susceptible d’une explication naturelle.
    Peut-il y avoir du mal sous le gouvernement d’un Etre infiniment bon ? Bayle vouloit que l’on répondît à cette question, par l’axiome, ab actu ad posse valet consequentia. Je doute que BAYLE fût homme à se contenter d’une pareille réponse.