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le pouvoir réel de faire ceder l’intérêt le plus fort au moindre caprice, de nous forger les motifs d’agir, ou de n’en vouloir point d’autre que l’envie d’exercer notre liberté. Après cela sera-t-on surpris de trouver des hommes injustes par principe d’équité ? Des hommes vrais par esprit de fausseté ? Des hommes méchans avec toutes les inclinations naturelles d’un homme de bien ? Des hommes bons en pure perte, lorsqu’ils pourroient faire le mal avec profit ? Plus on étudie la volonté humaine, moins on s’étonne de la bizarrerie des formes que l’on voit prendre au vice & à la vertu, attendu la facilité qu’elle a, quoiqu’attachée à l’amour du bien-être, de le mettre où elle veut, seulement même dans l’imagination.

Si l’on doutoit qu’il y eût dans l’humanité un fonds de malice égal à sa bonté, je propose un moyen infaillible de s’en assurer. C’est d’isoler un individu jusqu’à un certain point ; de le livrer à lui seul, en l’éloignant des circonstances qui agissent le plus efficacement sur l’ame ; de le mettre au-dessus de la loi & de la justice, des châtimens & des récompenses, des honneurs & de l’opprobre ; de lui donner une puissance sans bornes pour le bien & pour le mal, avec le droit de faire consacrer ses actions & adorer ses volontés, telles qu’elles soient. Si un être indépendant jusques-là,