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où ils sont nés. Avec une ame moins ignoble, ils sentiroient trop l’abjection où ils vivent, ils perdroient le goût des plaisirs grossiers dont ils se contentent, ils se refuseroient aux vils emplois dont on les charge. Le laboureur n’a que l’esprit qu’il faut pour défricher la terre, labourer, ensemencer, moissonner, travailler sans murmure, & s’estimer heureux quand la récolte répond à ses espérances. Il fatigue tout le jour : il est nourri & vêtu grossiérement. Cela est vrai ; mais jugez de sa fatigue par sa complexion robuste, & non par l’imbécillité de la vôtre ; par son accoutumance au travail, & non par l’aversion que vous avez pour tout ce qui est pénible. Son frugal repas lui est toujours délicieux ; & vos mets apprêtés vous répugnent souvent. Il n’a point nos fêtes, nos assemblées, nos bals, nos spectacles, nos vanités. Vous vous trompez, il a tout cela dans le degré convenable à sa grossiéreté, & selon la mesure du plaisir qu’il peut y prendre. Il habite une humble chaumiere que le chagrin n’approche jamais, que le vice fuit parce qu’il ne pourroit s’y cacher. Le matin, il va gaïement au travail : un sommeil tranquille lui a rendu les forces que la fatigue de la veille avoit épuisées, il sent sa vigueur & se plaît à l’exercer. Le soir il vient retrouver sa femme & ses enfans dont