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Comment cela ? Le voici. L’inégalité des rangs ne consiste pas dans un surcroît de bien pour les plus élevés, & dans une surcharge de mal pour les plus bas : cela n’est pas dans la nature ; mais en ce que ceux-ci ayant moins de bien & aussi moins de mal que ceux-là, leur sont inférieurs en tout. Suivons leur marche graduée, il sera aisé d’observer qu’ils ne croissent que par une augmentation proportionnée de biens & de maux ; qu’à mesure qu’ils s’élevent, ils prennent une dose égale des uns & des autres ; que par cet arangement invariable il n’y a point de condition qu’on puisse dire réellement meilleure ou pire qu’une autre, quelque distance qu’il y ait entre elles. Né au dernier rang, pourvu à peine du nécessaire, l’homme vil ne songe point au superflu. Ce qu’il ne désire pas ne lui manque point. Son ame d’une trempe faite pour la bassesse de son état, est réduite par l’éducation aux seules facultés qui lui conviennent. Elle a peu de passions & conséquemment peu de plaisirs & peu de miseres. Elle est incapable de sentir les amusemens de la grandeur, & de se tourmenter de ses peines. Ce seroit un très-grand abus dans la société, que la populace eût plus de sensibilité, plus de lumieres & plus d’éducation qu’elle n’en a. Il est important pour le bonheur des petits & pour celui de l’état, qu’ils restent dans l’avilissement