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les appartemens d’un seul, sur sa table, sur sa livrée & ses équipages, est la dépouille de vingt familles ruinées. Vingt autres familles vivent par son luxe. Outre les gens de sa maison entretenus dans l’abondance, combien d’artisans & d’artistes, occupés pour lui, jouissent d’une aisance qu’ils n’avoient pas avant ses concussions criantes ! On peut dire qu’il s’est fait entre ces quarante familles un échange d’aisance d’une part & de misere de l’autre. Mais les deux sommes restent les mêmes : elles ne font que circuler, se déplacer, se combiner par des révolutions & des changemens de fortune.

Nos biens, s’ils sont le fruit de l’injustice, ne nous rendent heureux, que par le malheur d’autrui ; si nous les devons à l’industrie, ne rentrons-nous pas dans le même inconvénient ? Ce qu’on appelle industrie dans le commerce ordinaire, n’est que l’art de profiter adroitement des pertes des autres, quelquefois même de les occasionner ; de tirer le meilleur parti de leurs sottises, de leurs fautes, de leur simplicité, de leur probité ; de détourner vers soi les veines de richesses qui vont porter l’or ailleurs. La faveur abaisse les gens de naissance pour élever des hommes de néant : aveugle, elle se laisse abuser par de fausses apparences : injuste, elle protege le flatteur & laisse languir le mérite ; capricieuse,