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la chouette et la colombe.

la chouette, se moquant.

Oui, une fidélité de six semaines.

la colombe.

J’en ai déjà trouvé une de onze mois.

la chouette.

En vérité ? mais c’est les trois quarts et demi de ce qu’on vous demande. Un homme et une femme qui s’aiment depuis onze mois !… où sont donc ces deux merveilles ?

la colombe.

Oui, attendez que je vous le dise, pour que vous alliez les déranger dans leur honnête occupation ! (À part.) Je me garderai bien de lui nommer Paquerette et Feuilleté ! quoique je sois sûre d’eux, j’aime mieux ne pas les exposer à la tentation.

la chouette, à part.

Elle ne se doute pas que depuis quinze jours j’ai découvert sa petite paysanne et son jeune pâtissier, dans les états du seigneur Ganachini. Maintenant toutes mes batteries sont dressées ; la femme du prince est coquette et vindicative ; leur frère a beau être laid comme un monstre, il est amoureux comme un pigeon ; Ganachini est un vieil imbécile, qui fait tout ce que veut sa femme ; ils seconderont mes projets.

la colombe.

Au revoir, ma sœur ; dans un mois, mes protégés s’aimeront depuis un an ; je vous les présenterai au tribunal de notre reine.

la chouette.

Dans un mois.

la colombe.

J’ai affaire à deux mille lieues d’ici, je vais reprendre mes ailes…

la chouette.

Et moi aussi, car j’ai donné rendez-vous à deux hiboux de mes amis… à Paris dans la rue de la Licorne.

la colombe, à part.

Allons retrouver mes jeunes amans.

la chouette, à part.

Rendons-nous à la cour du prince Ganachini.

ENSEMBLE.
Air : Final de Bruno.

Devenons oiseaux,
Prenons notre plumage !
Sous des cieux plus beaux
Sont des objets nouveaux.
Bravant le danger,
Pour nous quel avantage
De pouvoir changer,
De pouvoir voltiger !

la colombe, à part.
Près de Pâquerette

Il faut retourner à l’instant ;
Puisse cette jeune fillette
Rester fidèle à son amant ;

la chouette.
Moi, je vais sur terre

Jouer encor quelque bon tour
Et mettre tout le monde en guerre
Pendant la nuit, pendant le jour.

ENSEMBLE.
Devenons oiseaux, etc., etc.
Après le morceau les deux fées rentrent dans les rochers, qui se referment sur elles. Les oiseaux reparaissent sur le sommet de chaque pic et s’envolent. Ensuite les rochers s’enfoncent, les nuages du fond s’élèvent, et on voit un riche palais, ouvert au fond, un petit trône à gauche.

SCÈNE III.

GANACHINI, Gardes.
Les gardes de Ganachini ont un costume de soldats, mais pour coiffure un bonnet de coton ; ils portent un fusil sur un bras, et sur l’autre une serviette comme les garçons limonadiers.
chœur des gardes.
Air : Cocu, mon père.

Nous s’rons rossés peut-être,
Le prince, notre maître,
Est comme un forcené
Parc’qu’il n’a pas bien dîné.
ganachini, arrivant, sa serviette à la main.
Oui, je suis en colère !
J’ai bien de quoi, j’espère !
On sucre mon salmis,
Et l’on brûle mes rôtis !

REPRISE.
Nous s’rons rossés peut-être, etc.

ganachini.

C’est pitoyable ! et c’est abominable !… c’est même très-désagréable ! ça n’était pas mangeable ; j’ai quitté la table, tout était manqué… tout absolument. mon potage croquait ; encore s’il avait été aux croûtons, je ne dirais rien… Je demande des œufs à la coque ; quand je veux y enfoncer des mouillettes, qu’est-ce que je trouve dedans ? des petits poulets… Depuis que mon épouse Violentine m’a forcé de placer un tas de ses parens dans mes cuisines, ça ne va plus que d’une aile. Cette femme-là abuse du pouvoir que je lui ai laissé prendre sur moi… Quelle idée aussi, moi. Ganachini, prince de l’Île des Lumières, d’aller épouser une de mes sujettes, une petite fille sans éducation, une artisane qui faisait des boutons, pas même des boutons, des queues de boutons que dis-je !… Il est vrai qu’elle a un œil retroussé et un nez fendu en amande… Ah ! il n’y a pas trois yeux comme ça dans mes états. Mais madame dîne en ville fort souvent, ça lui est bien égal que mon repas soit manqué. (Aux Gardes.) Où est mon grand écuyer tranchant, Bouriquet, le cousin de ma femme ?

un garde.

Seigneur, votre écuyer Bouriquet est en train de faire une charlotte ; il n’a plus qu’une pomme à faire cuire.

ganachini.

Une pomme ! une pomme !… Qu’on l’appelle ! (L’apercevant à droite.) Ah ! le voilà !