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la chouette et la colombe.

Que tout séduise les yeux.
Pour attirer la pratique
J’aurai l’air bien gracieux.
Not’fortune, sans anicroches
Doit s’arrondir, car pour ça
I n’faut faire que des brioches,
Et de tout temps on en fera.

ENSEMBLE.

Lorsque nous serons, etc.

FEUILLETÉ.

C’est égal, Pâquerette, je suis fâché que tu aies voulu attendre jusqu’à la fin de l’année pour nous marier, et quoique nous n’ayons plus qu’un mois à attendre, je trouve que c’est encore trop.

PAQUERETTE.

Pourquoi cela ?

FEUILLETÉ.

Parce que cette nuit j’ai fait un vilain rêve. un rêve qui me tourmente… je voyais une chouette sur mon lit, et ce maudit oiseau ne cessait de me répéter : « Tu n’auras pas Paquerette… elle t’oubliera ; une grande dame te consolera… patati… patata… »

PAQUERETTE.

Comment, une chouette te disait cela ?… Oh ! c’est bien singulier ; j’ai vu en songe le même oiseau, qui m’annonçait aussi des choses extraordinaires.

FEUILLETÉ.

Ah ! bah !… rêver chouettes tous les deux… c’est étonnant ça ; je ne crois guère aux songes… pourtant je voudrais bien que quelqu’un pût m’expliquer ce que ça veut dire.

PAQUERETTE.

Il y a une personne dans le pays qui serait bien en état de nous le dire et surtout de nous donner de bons conseils, la mère Berthe.

FEUILLETÉ.

Oh ! oui, cette vieille femme qui n’a plus qu’une dent, que tout le monde respecte et honore dans le village… on dit que c’est la crème des vieilles femmes… mais je n’ai jamais osé lui parler.

PAQUERETTE.

Ni moi, mais elle a l’air si bon, je suis sûre qu’elle nous écouterait avec plaisir.

FEUILLETÉ.

Si je le savais, je dirais : Allons la consulter.

Pendant que les deux amans causent, la fée Colombe, sous le costume d’une vieille paysanne, paraît tout-à-coup assise dans un vieux fauteuil qui roule et s’arrête contre Paquerette, de sorte qu’en se retournant les amans aperçoivent la vieille paysanne assise près d’eux.
PAQUERETTE.

Tiens !… eh mais ! la v’là la mère Berthe.

FEUILLETÉ.

Eh ! oui, vraiment… je l’ai pas entendu ouvrir la porte.

PAQUERETTE.

Bonjour, mère Berthe. Oh ! que c’est aimable à vous de venir me voir ! Est-ce qu’il y a longtemps que vous êtes là ?

LA COLOMBE.

Non, mes enfans, j’arrive, et je me reposais parce qu’à mon âge on est vite fatigué.

FEUILLETÉ.

Vous arrivez joliment à propos, dame Berthe ; nous voulions aller vous consulter au sujet d’un rêve que nous avons fait tous les deux.

LA COLOMBE.

Je le sais, je vous ai entendus : vous avez vu tous deux une chouette.

FEUILLETÉ.

Oui, une chouette grise, c’est ça… et une chouette grise, c’est ma bête noire à moi.

PAQUERETTE.

Oh ! mère Berthe, qu’est-ce que ce songe-là nous annonce ?

LA COLOMBE.

Bien des choses, mes enfans : Pâquerette, un grand seigneur voudra te séduire, t’enlever ; peut-être même on te séparera de Feuilleté, qui de son côté aura bien des piéges à éviter, bien des tentations à combattre.

PAQUERETTE.

Ah ! mon Dieu ! comment triompher de ces malheurs ?

FEUILLETÉ.

Comment garder ma Paquerette pour moi tout seul ?

LA COLOMBE.

Mes enfans, vous possédez sans vous en douter un talisman qui peut vous protéger contre tout ce qu’on tenterait pour vous séparer.

Air du Talisman.

Tous les deux d’un amour sincère
Vous vous aimez, je le sais bien ;
Mais qu’à l’avenir rien n’altère
Entre vous ce tendre lien ;
Alors, du sort le plus rebelle
Vous triompherez constamment :
Rester toujours fidèle
Il n’est pas d’autre talisman.

PAQUERETTE.

Rester fidèle, mais c’est charmant,
Nous emploierons ce talisman.

FEUILLETÉ.

Nous l’emploierons, je vous le jure.
D’abord, moi, ça m’ va joliment.
Êtr’ fidèl’, c’est dans ma nature,
J’suis un canich’ pour l’attach’ment.

PAQUERETTE.

Des conseils de la bonne mère
Nous nous souviendrons constamment ;
Notre amour est sincère,
Nous emploierons ce talisman.

ENSEMBLE.

Rester fidèle, mais c’est charmant,
Nous emploierons ce talisman.

Pendant qu’ils chantent, le fauteuil se retire, emmenant la fée, qui disparaît ; le fauteuil vide a repris sa place.
PAQUERETTE.

Tiens !… eh bien ! la bonne mère est partie !

FEUILLETÉ.

C’est étonnant, pour une vieille femme, comme elle entre et sort lestement… Ah : mon Dieu ! et mon flanc aux cerises que j’oublie ; je retourne au four, car je ne peux pas trop me fier à Criquet. Au revoir, ma petite Paquerette ; une fois ma commande livrée, je reviens près de toi.