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Ces considérations expliquent pourquoi les guerres serviles furent assez longues et nécessitèrent jusqu’à trois armées pour que les armées consulaires parvinssent à en avoir raison. En elles-mêmes, elles n’étaient pas trop injustes, il faut en convenir. Des captifs étrangers possédaient le plus beau droit du monde à vouloir se faire libres et se venger. Elles n’étaient pas non plus trop menaçantes, puisqu’elles ne s’en prenaient ni aux formes ni au fond de l’ordre de choses existant et eussent laissé vivre et même restauré le tout dans son entier. Les historiens veulent rire quand ils s’étendent avec attendrissement sur la férocité de ces hordes de bandits et oublient les proscriptions, les massacres, les pillages dont le monde officiel d’alors faisait son pain quotidien. Enfin, avec un peu plus d’habileté, ce qui eût pu se trouver, les conducteurs d’esclaves auraient certainement atteint au poste de divins Césars, puisqu’on ne leur opposa que des gens de leur espèce et parfaitement leurs cousins, dans ces cohortes très dignes de figurer au milieu de leurs rangs.

Mais non, ils ne pouvaient pas réussir ; malgré tout et tant, ils ne devaient qu’échouer. Pourquoi ? Parce que les masses d’en bas n’arrivent jamais au sommet attendu que la dernière couche sociale porte sur les épaules et sur la tête une pyramide d’intérêts de tous genres dont le poids la cloue et la retiendra à jamais sur sa place. Elle ressemble dans sa brutalité aux anciens Titans foudroyés par les Olympiens. Ils remuent, ils soulèvent avec rage les montagnes et les rochers ; à force de peines et de sueurs, ils déchirent la terre, ils la crevassent et, de temps à autre, un éboulement bouleverse les vallons et fait déborder un fleuve et puis ? Et puis, il n’y a rien de