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et il se trouve force honnêtes gens sans fortune qui se créent, se maintiennent et entrevoient d’autres ressources que la sportule. Nous allons mais nous ne sommes pas encore arrivés à cette plénitude d’état démocratique où à côté des meneurs gorgés d’opulence et de faste, précisément des Sénèque écrivant leurs périodes ampoulées en faveur de l’égalité des hommes sur une table d’or, il n’y aurait que des hordes faméliques et hargneuses. Cela peut venir, mais nous n’y sommes pas. Au mois d’avril 71, pendant que les troupes assiégeantes et le Mont Valérien bombardaient Paris, les obus tombaient et éclataient dans les Champs-Élysées. La portée du tir dépassait pas le rond point et un cordon de sentinelles fédérées faisait la garde, avertissant complaisamment ceux qui passaient d’avoir à se ranger contre le mur crainte d’accidents, et derrière cette ligne de factionnaires, jusqu’aux Tuileries, les enfants sautaient à la corde, jouaient au cerceau, tournaient sur les chevaux de bois ; les dames se promenaient, les citoyens officiers de la Commune, fort brillants, se montraient dans des fiacres. Quand un projectile éclatait avec plus de force que les autres ou tombait plus près, chacun d’accourir, on criait, on riait, on applaudissait, on était ravi ! C’était bien là quelque chose qui sentait la plèbe romaine comme aussi le divertissement offert aux promeneurs le dimanche dans les forts. Mari, femme et enfants se penchaient sur les remparts ; les artilleurs de la Commune leur montraient au loin les Versaillais ; pour dix sous, on déchargeait sur eux un canon.

Ce sont là encore des instincts, des débuts qui promettent, mais combien il reste de route à faire avant d’imiter à plein la scélératesse grandiose de ce qui se