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luste, Suétone, Sénèque, sensibles au bien-être personnel, faisant volontiers bonne chère, d’ailleurs prêchant la fraternité à tous les hommes et à la suite de ces gentillesses ils ont eu leurs guerres civiles et des Spartacus ravageant l’Italie à la tête de trois ou quatre cent mille hommes. C’était beaucoup et le monde romain courait un gros risque ; mais le fond des choses rendait le risque plus gros encore.

Les Romains ne connaissaient pas, comme nous, la classe des petits propriétaires. Depuis des siècles ils les avaient ruinés, contraints de vendre leurs domaines et de se réfugier dans les villes où ces misérables vivaient d’industrie, se tiraient d’affaires comme ils pouvaient, mais comptant surtout sur les distributions de vivres, sur les sportules distribuées à la porte des maisons riches et sur les coups de fortune. Ces multitudes urbaines engourdies dans l’habitude et le goût de la fainéantise n’avaient pas de motifs bien sérieux d’aller rejoindre Spartacus et ses légions ; mais elles n’en avaient pas non plus de leur être hostiles, de sorte qu’au besoin, elles les eussent même aidés d’une émeute, et si ces bandes avaient réussi à s’introduire dans Rome, comme elles le firent dans tant d’autres villes, la plèbe les eût aidées à piller et certainement n’eût pas songé à défendre ce qu’on appelait les riches.

La société moderne n’en est pas tout-à-fait là. Le territoire français, pour la plus grande partie, est la propriété de familles à ressources modiques mais certaines et ces familles n’aimeraient pas, n’appuiraient pas, ne voudraient pas les guerres serviles. De son côté, la plèbe parisienne ou lyonnaise n’embrasse pas, à beaucoup près, toute cette population vivant en dehors des grands hôtels