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faitement se faire tuer. Mais, pour la plupart, leur enthousiasme n’était que le produit direct de l’espérance ; au premier échec, ils se croient trahis. Leur divinité tangible qui, à leurs yeux, pouvait tout, n’exécutant rien, tombe au-dessous de leur mépris et leur indignation saute à la gorge des meneurs maladroits à moins que ceux-ci ne trouvent moyen de faire passer leur défaite pour une nouvelle preuve de la scélératesse des vainqueurs ; cet effet de rhétorique ne laisse pas que de réussir souvent. Mais si les fanatiques sont disposés à jouer leur vie, ils ne forment là, comme dans tous les camps, qu’une minorité et le gros de l’armée n’a jamais autant envie de se battre que de s’enfuir. On le retient par les menaces, par la peur, par l’argent, par le vin, par l’état d’excitation où on le plonge tant qu’on peut, mais malgré tous les efforts, ce n’est jamais une puissance militaire ni dense ni résistante. Il n’existe pas, dans l’histoire d’un pays quelconque, un seul exemple grand ou petit donnant lieu de penser que des troupes de ce genre peuvent vaincre autre chose et plus qu’un ennemi complètement démoralisé, déjà en déroute ou abandonné par ses chefs. C’est l’histoire uniforme de ce que les jacobins appellent les grandes journées de la Révolution. Au dix août, une poignée de Suisses mettait en panique la population enragée des faubourgs malgré ses canons, ses bonnets rouges, ses fusils, ses piques et toutes ses Théroigne, quand le Roi ordonna à ses défenseurs de mettre bas les armes et les quitta. Mais au 12 vendémiaire, Paris entier fut foulé aux pieds par une poignée de soldats. En juin 48, on avait laissé au tumulte temps de se rendre irrésistible ; il avait des armes et les meilleures, des forteresses de pierres de taille dans ses