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françaises, rien de plus vrai ; mais on se bat si bien sans armées, quand on a de l’enthousiasme et des proclamations !

Je crois sincèrement, contrairement à l’opinion de beaucoup de gens, que les gouvernants d’alors croyaient un peu à ce qu’ils disaient. Par la vertu de la sainte ignorance, ils eurent confiance, à peu près, dans les mesures dont ils firent étalage et leur manière de raisonner faux, mais enfin de raisonner est garantie par la façon dont ils agirent.

Ils ravagèrent tous les environs de Paris afin, dirent-ils, de s’entourer d’une couture de déserts. Ils étaient d’opinion, d’abord que cette opération avait d’autres résultats possibles que la ruine d’une foule de gens qui n’en pouvaient mais ; secondement, ils entretenaient quelque vague espérance que l’ennemi allait se laisser mourir de faim ce qu’il eut la malice de ne pas faire.

Ils firent sauter à grand fracas des ponts et des ouvrages d’art valant des sommes immenses ; peut-être leur avait-on révélé que les armées envahissantes ne marchaient pas sans équipages spéciaux et pouvaient à leur gré passer toutes les rivières, sans qu’on leur donnât la main. S’ils le savaient, ils étaient convaincus que ce n’était pas commode et que les Allemands seraient au moins contrariés. Le résultat fut pourtant que ceux-ci ne moururent pas de faim, passèrent et quand ils eurent passé, on leur fit courir entre les jambes des mobiles à demi-nus, ni armés ni commandés, des mobilisés encore plus misérables, mais il y en avait beaucoup et c’était sur cette circonstance qu’on se fondait pour ne pas douter d’exterminer l’adversaire jusqu’au dernier homme. Que pouvait-il devenir, si à chacun de ses soldats on accostait deux et même trois bourgeois ou paysans