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voir changer les bases du pouvoir et ses raisons d’être et ses façons de concevoir les droits, avec une facilité égale à celle du tailleur substituant une forme d’habit à une autre et ils pensent que les populations font encore quelque cas des morceaux de papiers contradictoires qu’on leur étale incessamment sur leurs murs. Ils savent mieux que personne ce que vaut une loi sur l’instruction publique, sur les procédés électoraux, sur l’administration de tels et tels intérêts, sur le service militaire, sur les droits des communes, et ils pensent qu’ils peuvent en faire une plus solide que tant d’autres dont les débris jonchent les planchers des assemblées législatives !

C’est un grand mot que le mot Loi. La loi, rien ne remplit la bouche plus largement ; c’était l’avis du Roi Henry III. Je ne doute pas que les Mèdes et les Perses n’en sentissent toute la valeur ; mais c’est que la loi, chez eux, était proverbialement immuable et l’esprit de l’homme est ainsi fait qu’il ne saurait attacher l’idée de respect qu’à l’idée de durée.

Les Romains étaient encore de si fervents et de si aveugles adorateurs de la loi que l’on a vu des convives se séparer en riant, bien que fort animés, parce qu’il venait de tonner à gauche. Personne ne croyait que cette explosion d’électricité malencontreuse eût le moindre rapport avec ce qui tenait tous les esprits en ébullition ; on riait, mais on se séparait, parce qu’une très vieille loi le voulait ainsi, et qu’aucun intérêt n’était jugé assez fort pour oser se tenir debout en face de la loi.

Les Anglais aussi tiennent à la loi et ne sont pas moins convaincus de l’impossibilité de l’abroger sans les plus minutieuses précautions. C’est précisément par suite