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On trouva donc la théorie des trois pouvoirs : le Roi se battrait à perpétuité contre la Chambre basse et la Chambre haute servirait à perpétuité de bouclier à l’un contre l’autre. Quant au pays on commença alors à lui demander des majorités et les mandataires sortis de ces majorités devaient être nécessairement les hommes capables, vertueux, distingués en tous points que pouvait contenir la nation, et que l’élection comme une cornue allait distiller incessamment devant le public.

M. Guizot appelait cela en 1848, après la chute du gouvernement qu’il avait mené tant d’années, une aristocratie ouverte aux deux bouts ; on y entrait, on en sortait. On en sortait si bien que le Roi Louis XVI en eut le cou coupé et on usa beaucoup de tuyaux au frottement rapide de tant d’aristocrates de passage. Les libéraux tuèrent successivement toutes les royautés constitutionnelles qu’on leur a confiées. Autant on leur en donnerait, autant ils en tueraient. Mais ils n’ont pas cessé un seul jour d’être enchantés d’eux-mêmes, et leur confiance est à l’abri de tous les petits malheurs. Leur grande affaire c’est d’avoir des Chambres. Le reste doit être tenu pour secondaire ; Roi légitime, Roi par accident, Empereur, République, tout va, pourvu qu’ils aient des Chambres. S’ils ne peuvent s’en procurer deux, eh bien ! Ils se contenteront d’une seule et les mortels heureux qui y sont nommés par les électeurs qu’on voudra, par les suffrages arrangés comme on l’entendra, au scrutin de liste ou au scrutin d’arrondissement, peu importe ; tout leur est bon, ces mortels-là deviennent des demi-dieux.

Le jour où leur nomination est vérifiée, le Saint-Esprit descend sur la tête des élus ; ils deviennent bons à tout, propres à tout, dignes de tout. Les grands