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il ne fallait pas non plus de bancs des Évêques, ni de cour des Prérogatives ; il ne fallait pas d’immunités municipales, ni de corps de ville dirigeant et conduisant leurs affaires à leur guise ; une aristocratie territoriale, je ne sais si on en eût voulu, mais au XVIIIe siècle, on ne possédait plus qu’une noblesse de cour besoigneuse vivant des bienfaits du Roi et une noblesse de province sans autorité dont les enfants allaient volontiers recevoir une solde de dix sous par jour dans les grenadiers de France ou autres corps à son usage ; les commis avaient réglementé tout cela ; par conséquent il n’était pas question de se servir de ce qu’on ne possédait pas. Comme il ne se trouvait pas sur la terre des legs d’existences indépendantes on ne pouvait pas non plus compter sur la formation de deux grands partis, l’un voulant que l’État marchât sans rien casser, l’autre qu’il restât prudent sans dépérir. Tout mis à part, on voulait passionnément une constitution à la mode anglaise et on se disait convaincu que rien n’était plus aisé que de se la procurer. Cette façon de juger des réalités des choses est particulière à l’esprit français. J’ai vu dans les premiers jours de 1848, sur les boulevards couverts de drapeaux de toutes les couleurs, et entre autres tricolores mais dont les trois bandes recherchaient des combinaisons nouvelles (on ne voulait plus de l’ancienne) — j’ai vu, au milieu de la foule, nombre d’hommes fort animés montés sur des chaises distribuant de petits billets à tous les passants, et sur ces billets était écrit : « constitution américaine », république unitaire c’est-à-dire : lumière éclatante dans une nuit profonde ou faire diligence en se couchant sur le dos. Le bon sens français ne se cabre pas devant ces logiques-là !